(Suite du premier article) Mais le problème est ailleurs en fait. Il est dans le modèle politique à l’œuvre engendré par le secteur nucléaire dans notre pays. On sait que, sous le prétexte du secret défense, le nucléaire civil n’a jamais fait l’objet d’aucun débat démocratique dans ce pays. Si l’on y ajoute la culture du mépris propres aux ingénieurs issus de nos grandes écoles, persuadés que le vulgum pecus n’entend rien à rien et qu’il vaut mieux confier certains dossiers « d’intérêt national » à des « experts », on obtient un recours systématique à la dissimulation, au mensonge et au déni d’information. Tout le monde s’est gaussé du fameux nuage radioactif de Tchernbyl qui aurait soigneusement contourné les frontières nationales. Il n’empêche que le mensonge a été sciemment proféré. Honte à ceux qui l’ont décidé et propagé. La Raison d’État a encore de beaux jours devant elle.
Alors oui, si l’on accepte le mensonge comme vertu, la dissimulation comme tactique et la désinformation comme communication, ainsi que l’absence de tout réel débat, le nucléaire a encore de beaux jours devant lui, et, braves gens, cessez de vous poser des questions et laissez les experts décider pour vous. L’argent-roi fait peu de cas de vos vies…
L’autre problème, peut être encore plus grave, est celui de la nature du nucléaire. Ici, le sens commun échoue à comprendre un phénomène physique particulièrement difficile à appréhender. La radioactivité ne se ressent pas vraiment, ou bien si on la ressent il est déjà trop tard pour s’en protéger. Elle n’est pas sensible comme d’autres types de pollution. Mais surtout, surtout elle correspond à des échelles de temps inhumaines. Les demi-vies des composés nucléaires peuvent durer des centaines de milliers, voire des millions d’années. On pourra rétorquer que ces composés ne sont pas les plus radioactifs, et que les plus puissants ont une demi-vie courte. C’est vrai, mais il n’empêche qu’un site, une fois contaminé, l’est pour de très longues périodes. De même, on a découvert des réacteurs nucléaires naturels, qui auraient fonctionné pendant très longtemps. Mais il faut comparer ce qui est comparable : la fission nucléaire est un phénomène naturel, mais il y a une question d’échelle. Et en France, pays le plus nucléarisé au monde, le choix du nucléaire apparaît comme un voyage sans retour. En sortir ? Impensable, et ceux qui osent évoquer cette éventualité sont des réactionnaires ou des fous.
Comment ouvrir un débat apaisé dans ces conditions ? C’est presque impossible. Les incidents nucléaires sont nombreux, mais une certaine loi du silence minimise ces problèmes ou les oublie. N’oublions pas, justement, qu’une fois un site de production démonté, reste le cœur du réacteur qui lui, est indémontable. Autrement dit, le site est mort pour des milliers d’années. Quel legs pour les fameuses générations futures ! Et à aucun moment on ne remet en cause le bien-fondé de la quantité d’énergie consommée. Imaginer des sources multiples d’énergie apparaît comme une ineptie, alors que ce serait certainement une alternative intéressante. Mais elle heurte de front les intérêts du secteur nucléaire. Alors on oublie.
Les Japonais, eux, n’oublient pas. Et s’il font preuve d’une capacité de résilience remarquable, cela ne supprime pas la contamination au quotidien de leur cadre de vie. Mas puisque nous sommes tous pollués à des degrés divers, pourquoi se faire du souci après tout ? Autant se dire que tout est déjà consommé. Dernier détail : on sait intervenir sur des avaries nucléaires jusqu’à un certain niveau de gravité. Mais au-delà, on ne sait pas. On est démuni. Avouer cela, c’est faire aveu de faiblesse. Insupportable pour tous ces experts. On préfère dire que l’on n’a pas le choix. Que c’est la seule solution et que sinon, c’est le retour à l’âge des cavernes. Qui a dit que le progressisme était mort ? Cela montre bien que nous sommes incapables d’envisager autre chose qu’un « progrès » indéfini décliné par le progrès matériel, industriel et technique. Si l’on supprime cela, le sol s’ouvre sous nos pas. Il faut imaginer autre chose, ce qui est très angoissant pour certains apparemment. Mais c’est certainement l’imagination qui nous sauvera.
En une: la ville-fantôme de Tchernobyl, Ukraine