Publier sur un site personnel et non directement sur les réseaux sociaux peut sembler anachronique, voire carrément dépassé. Mais c’est que, comme l’a expliqué Maria Ressa, les fameux algorithmes favorisent invariablement le « même » et, surtout, ils favorisent les contenus les plus outranciers, puisque c’est ce qui fait réagir à coup sûr et permet d’assurer le flux nécessaire au développement de ces mêmes réseaux. En somme, les réseaux favorisent d’abord leur propre logique, au détriment du sens et de la mesure, dont « ils » n’ont que faire, étant donné qu »ils sont aveugles à toute forme de signification.

Or, ces contenus extrêmes, qui jouent sur l’insulte et les émotions aussi violentes que tranchées (haine, colère, plaisir ou surprise, peur, dégoût, etc.), éliminent d’entrée de jeu la nuance et l’équilibre dans les échanges. La raison est vite submergée par l’émotion, et qui plus est de manière là aussi déséquilibrée, d’autant plus que très souvent des contenus non choisis nous sont arbitrairement proposés.

C’est pourquoi j’ai choisi d’écrire d’abord et avant tout pour mon propre blog: libre à chacun de venir lire et éventuellement contribuer, mais de manière là aussi mesurée.

Combien d’histoires de cyberharcèlement n’ont-elles pas fleuri sur le net toutes ces dernières années? Ce sont des torrents d’insultes, d’invectives et de menaces qui à présent se répandent, au nom d’une prétendue liberté d’expression qui, correctement traduite, toujours selon Maria Ressa, devient un capitalisme de surveillance et d’oppression.

Une scène tirée du film 1984 de Michael Radford

Le Télécran décrit dans le roman 1984 de George Orwell apparaît comme une foudroyante préfiguration de nos supports mobiles. Mais, tandis que le Télécran était fixe, imposé et disposé dans les maisons de sorte que nul n’échappât à son regard, le Télécran moderne fait partie intégrante de nos vies, nous l’emportons partout et nous en réjouissons car nous l’avons choisi, tandis que, si nous ne l’avons pas ou plus, une sourde angoisse s’empare de nous, comme un manque d’être. Ce fétiche, au sens ou Marx l’entendait, correspond aussi bien à ce que Guy Debord avait décrit dans sa Société du Spectacle que dans ce que René Guénon avait aussi entrevu avec cette constatation de la quête de « transparence » de nos vies devenues totalement visibles et contrôlables à travers des expédients techniques toujours plus performants. Comme dans une maison de verre…

Aujourd’hui, tous ces biais, toutes ces menaces sont évidentes, il n’y a là rien de mystérieux en fait. Néanmoins, on peut espérer que l’on sache encore s’en protéger, et aussi les combattre, tant qu’on en sera capable.

Une dernière remarque, en rapport avec les jeunes générations: le danger représenté par l’aplatissement complet des hiérarchies de l’information et de sa différenciation: c’est là aussi une banalité que de dire que la confusion la plus totale règne chez beaucoup d’usagers des réseaux « sociaux » tels TikTok pour distinguer entre connaissances vérifiées, information fiable et dûment sourcées, infotainment, opinion et infox ou fake news. Que faire face à ces confusions, plus ou moins volontairement entretenues?

Continuer à expliquer, distinguer, discerner et développer le sens critique. C’est peut-être une pédagogie d’arrière-garde, mais elle demeure essentielle pour au moins minimiser les effets délétères de cette mise à plat des différents types d’ « information ».

En une: flora on sand, de Paul Klee

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